S’il fallait encore une preuve au fait que l’immobilier est un sujet moteur en pleine expansion dans les entreprises, alors le séminaire que l’ADI a co-organisé avec l’ANVIE le 3 avril dernier l’apporte. N’y a-t-il pas plus grande victoire que de voir faites siennes par d’autres nos propres convictions ? Surtout lorsque ces dernières sont relayées par des acteurs à la notoriété affirmée et reconnue dans le monde de l’entreprise…
Ainsi, pour la première fois cette année, l’ADI s’est associée à l’ANVIE, pour organiser sur ½ journée un séminaire sur le thème « Management immobilier des entreprises et création de valeur pour les entreprises : comment concilier les enjeux RH, financiers et environnementaux ? »
Mais venons-en au cœur de sujet ! Alors que la qualité de la vie au travail devient un enjeu de performance, que les contraintes énergétiques et environnementales s’intensifient et que les TIC révolutionnent les modes de travail et les besoins en matière de bureaux, la fonction immobilière se complexifie.
Si elle cherche toujours à optimiser les coûts de la mise à disposition du parc immobilier dont l’entreprise a besoin, surtout en période de crise, elle est de plus en plus amenée à prendre en compte les attentes des collaborateurs en termes de services et de bien-être au travail, à coopérer avec les autres fonctions de l’entreprise pour inventer les bureaux de demain et à servir la stratégie de l’entreprise, en veillant à la qualité de son écosystème.
A quelles conditions réussir la collaboration avec les autres fonctions de l’entreprise, DRH, environnement de travail, direction financière, direction des systèmes d’information…? Comment anticiper les nouveaux besoins en bureaux et les nouveaux usages ? Quelle stratégie adopter en tenant compte des aspects organisationnels et humains pour améliorer la performance de l’entreprise ?
C’est sous l’animation scientifique d’Ingrid Nappi-Choulet, professeur-chercheur, titulaire de la Chaire Immobilier et Développement durable, fondatrice de l’Observatoire du management immobilier, que les intervenants*, issus du monde de l’entreprise et représentants les directions de la stratégie, des ressources humaines, du développement durable et de l’immobilier, mais issus aussi du monde de la recherche, ont répondu à l’ensemble de ces questions.
Politique immobilière et enjeux financiers : quel modèle pour quelle stratégie ?
Le séminaire s’est d’abord consacré à la question du mode de gestion financière pertinent à retenir (location/achat, filiale/gestion directe…) alors que l’immobilier représente un investissement majeur pour l’entreprise. Au travers des témoignages exposés, il est apparu que la réponse apportée à cette question a évolué dans le temps. Si initialement, les entreprises avaient plutôt tendance à construire en propre et à être propriétaire, cette tendance s’est inversée à partir des années 1990, sous le poids de la financiarisation de l’immobilier liée à l’évolution et la dématérialisation de notre économie.
Sont alors apparus différents modèles d’organisation. A la question du choix entre création d’une foncière ou gestion directe par la société exploitante, il n’y a pas de réponse unique tant le modèle traduit l’intimité de la stratégie à mettre en place par l’entreprise pour répondre à la singularité de son parc et de l’usage qui en est fait.
Dans tous les cas et au regard des différentes présentations, qu’il s’agisse de La Poste – qui a fait le choix d’une foncière, avec Poste Immo – ou d’Accor – qui a transféré la gestion de l’immobilier dans l’entité dédiée HotelInvest – il faut noter que ces choix d’organisation sont le fruit du constat, opéré au début des années 2000, que l’immobilier ne pouvait relever que d’experts. Comme l’a indiqué Sophie Stabile** « Accor a choisi de faire de l’immobilier un des cœur de son activité… qui s’explique par le fait que le Groupe s’est rendu compte qu’il était vain de demander aux directeurs d’hôtels de gérer efficacement les actifs immobiliers »
Nous parlons certes ici de grands Groupes, mais la réflexion sur l’immobilier n’échappe pas aux plus petites structures. Ce serait une erreur de penser que seuls les groupes ayant un parc important à gérer ont une politique immobilière. Le cas d’Accenture qui ne possède que 20 sites en France est, à ce titre, frappant. Consciente que l’immobilier est aussi un levier de création de valeur considérable, la société a mis en place une politique immobilière extrêmement novatrice et audacieuse qui place ce poste de dépenses en quatrième voire cinquième position dans le bilan de l’entreprise.
Au-delà du modèle stratégique qui répond à la manière dont on traite la question immobilière dans l’entreprise, se pose, en corollaire, la question de l’externalisation. Peut-on tout externaliser ? Et jusqu’où peut-on aller ? Les études qui sont menées le montrent : ces dernières années, un fort mouvement d’externalisations immobilières a conduit à opérer un recentrage sur les missions stratégiques, essentielles à l’entreprise au sein des directions immobilières et à recourir à des contrats de prestations pour tout ce qui relève notamment du facility management. Ce mouvement, caractéristique de la montée en puissance du management immobilier dans les entreprises, traduit à la fois l’évolution du métier et notamment sa distinction vis-à-vis des services généraux.
Politique immobilière et enjeux RH : des objectifs contradictoires ?
Réduire les coûts, favoriser l’attractivité de l’entreprise, miser sur la qualité de vie au travail : est-ce bien compatible ?
Alors que la corrélation entre la qualité de vie au travail et l’efficacité de l’entreprise devient de plus en plus évidente, les entreprises ne peuvent plus penser le « contenant » – à savoir l’immeuble-, sans le « contenu » – à savoir nous les utilisateurs. La politique immobilière est à la conjonction de la valorisation patrimoniale des bâtiments et celle du capital humain. Le lieu conditionne à la fois la performance financière et humaine, sans compter que les exigences croissantes de qualité de vie au travail (QVT) impactent la conduite des projets immobiliers. Aujourd’hui, les parties prenantes des projets immobiliers sont multiples. Au-delà des directions immobilières agissant sous la surveillance étroite des directions financières, les directions des ressources humaines et les instances représentants le personnel jouent un rôle majeur dans leur définition.
Forts de leur capacité à incarner les modèles managériaux des entreprises, leur novation sociale et leur adaptation aux nouveaux modes de travail (télétravail, nomadisme), les projets que pilotent les directeurs immobiliers, syncrétisent les enjeux de performance économique, financière et humaine en confrontant leurs expertises dans une concertation avec les occupants.
L’illustration apportée par le Crédit Agricole (CASA) – via son projet de campus Evergreen – démontre à quel point les projets immobiliers sont un outil, mais aussi un levier pour accompagner la stratégie de l’entreprise et le modèle managérial de l’entreprise. CASA a, suite à la crise de 2008, pris plusieurs décisions qui poursuivaient toute le même objectif: matérialiser le changement en changeant de culture d’entreprise et de comportement. La première et principale matérialisation de ce changement réside dans le déménagement de plusieurs entreprises du Groupe sur un seul et même site. Ce projet a, à la fois permis de générer une économie sur les charges immobilières du Groupe, d’instaurer un nouveau modèle de management, et a servi l’image du Groupe dans un contexte de crise financière notoirement néfaste pour les banques.
De même, l’histoire du campus de la SNCF implanté à Saint-Denis s’est construite dans l’échange de différents acteurs de l’entreprise. « L’équipe projet n’était pas composée à 100% de spécialistes de l’immobilier… les services RH et des groupes miroir composés de représentants des différentes équipes impactées ont été associés. »
Enfin, pour conclure sur ce point sur la conciliation des enjeux sociaux et immobiliers, et comme l’a souligné Florence Péronnau dans son exposé, la mission du Directeur immobilier aujourd’hui peut se traduire dans « les aménagements intérieurs [qui] se veulent l’incarnation spatiale d’enjeux majeurs de l’entreprise : offrir aux collaborateurs les meilleures conditions de travail par une organisation de l’espace en cohérence avec les stratégies de l’entreprise, différenciée et lisible tant en interne que pour les partenaires externes. »
Politique immobilière : Comment articuler stratégie territoriale et environnementale de l’entreprise et stratégie immobilière ?
La troisième et dernière partie du séminaire s’est d’abord attachée à montrer – au travers des propos de Jean Carassus – que les performances environnementales, au-delà des contraintes réglementaires qu’elles imposent, peuvent créer de la valeur et, à tout le moins, ralentir la destruction de valeur et l’obsolescence des immeubles grâce à la certification. Mais les choses sont là-aussi très imbriquées. Des études démontrent d’ailleurs que « l’immobilier tertiaire vert crée plus de valeur avec sa dimension bien-être et confort favorisant une meilleure productivité des collaborateurs, qu’en économisant l’énergie, l’eau et les déchets. Et nous le savons, la moitié des cibles de la certification HQE ont précisément trait à ce bien-être. ». Ainsi, la performance environnementale, prise dans sa complétude ; la certification ; l’éco-conception – comme c’est le cas chez LVMH – constitueraient un cercle vertueux contribuant à la création de valeur par l’immobilier pour l’entreprise
Le séminaire s’est achevé sur une approche d’ouverture. Ouverture sur l’extérieur. Il était, en effet, difficile de ne pas évoquer le lien entre stratégie immobilière des entreprises et développement territoriale. Si l’exemple d’ADP illustre parfaitement, la création de valeur croisée, à la fois pour l’entreprise et le territoire, il traduit aussi un axe d’évolution de la fonction du Directeur Immobilier vers l’aménagement, et l’aménagement du territoire. Là, l’immobilier des entreprises devient un acteur fondamental de l’attractivité du territoire, dont le développement devient aussi pour elle un levier de croissance. A ce titre, Frédéric Gilli, études à l’appui, est allé plus loin en explicitant le lien très fort entre la stratégie immobilière des entreprises (qui va bien au-delà de la seule stratégie d’implantation), la structuration urbaine et l’image du territoire dont une des formes les plus abouties est le cluster. Forts de ce constat et de cette prise de conscience, les Directeurs Immobiliers doivent ainsi conjuguer la stratégie de leur entreprise avec une forme de responsabilité sociétale vis-à-vis de territoire. Comment ? En connectant l’immeuble, l’immobilier, à son quartier, à sa ville, mais aussi en pensant l’immobilier comme durable, flexible, modulable et convertible dans son environnement… Relever cet enjeu est aussi créateur de valeur !
Ce séminaire était un moment captivant et riche, dont je voulais vous faire partager les quelques enseignements et qui souligne la concentration des enjeux de l’entreprise qui s’est opérée sur les directions immobilières des entreprises. Plus que jamais les entreprises ont besoin de Directeurs Immobiliers…
* Intervenants
- Marc THIOLLIER, directeur général, ACCENTURE France
- Christian CLERET, Directeur immobilier, Groupe LA POSTE, Directeur Général de POSTE IMMO
- Sophie STABILE, Directrice générale Finances, Groupe ACCOR
- Florence PERONNAU, Directeur Immobilier
- Alain d’IRIBARNE, directeur de recherches au CNRS et président du Conseil scientifique ACTINEO – Observatoire de la qualité de vie au bureau
- Jean-Marc ROGER, SNCF contact en cours
- Pierre DEHEUNYNCK, Directeur des ressources humaines Groupe, CREDIT AGRICOLE SA
- Gérald TOWNSEND, Ingénieur environnement, Directrice de l’environnement, LVMH
- Jean CARASSUS, Professeur et directeur de Mastère, Ecole des Ponts ParisTech
- François CANGARDEL, Directeur Immobilier d’Aéroports de Paris
- Frédéric GILLI, chercheur associé au Centre d’études européennes, Sciences-Po Paris, co-directeur du site et de la revue Metropolitiques Docteur en économie ENSAE
** sources : actes du séminaire
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