L’immobilier doit réduire et décarboner son empreinte énergétique. Il doit également s’adapter au changement climatique en préservant les ressources que sont l’eau, les sols, la biodiversité. Si ce constat fait consensus, une question reste : comment financer cette transition ? Eléments de réponses.
Le décret tertiaire ou dispositif Eco Energie Tertiaire (DEET) issu de la loi dite Elan du 23 juillet 2019, engage les acteurs du tertiaire vers la sobriété énergétique. Cet engagement se traduit entre autres par une obligation de déclaration des données de consommation sur la plateforme Operat.
“ Au‐delà de l’obligation de déclaration, les utilisateurs ont une obligation de réduction des consommations par rapport à une année de référence (qui est dans la majorité des cas 2019) ou par rapport à un seuil contenu dans l’arrêté dit valeur absolue ” rappelle Hanan Chaoui, avocate chez Adaltys. Quant à la Directive du 24 avril 2024 sur la performance énergétique des bâtiments, “ L’objectif tracé est la neutralité des immeubles existants à l’horizon 2050 ”, prévient l’avocate.
Chaque acteur du secteur est conscient qu’il doit prendre sa part de responsabilité pour faire face à la décarbonation du parc immobilier. » Mais en pratique aucune des parties prenantes n’est prêtes à assumer seules les frais, constate Oubay Churbaji, Directeur général grands comptes d’Altarea. Qui paye ? L’investisseur s’attend à un bail triple net, l’utilisateur se dit je ne veux rien payer, voire même s’il peut bénéficier d’une franchise de loyer pendant toute la durée du bail ça sera parfait, et le promoteur s’interroge pour optimiser ses coûts de construction car aujourd’hui, avec la remontée des taux, il est bien loin de son prix de bilan initialement prévu ” caricature‐t‐il, sans manquer de tirer des sourires entendus à la salle.
Pas de business sans développement durable
L’objectif est précis : le parc tertiaire doit réduire ses consommations pour atteindre la neutralité. Mais conjoncturellement les capacités d’investissement des entreprises sont dégradées. Or » Les montants de CapEx à mobiliser pour réaliser un plan de travaux sont colossaux ”, prévient Pauline Koch, CEO de Sitowie. “ Que l’on soit un actif loué ou non loué, cela a grosso modo le même impact en terme d’arbitrage au niveau global car un investissement capex comme un bail consolidé selon la norme IFRS sont tous les deux consolidés au bilan du groupe Danone ” détaille Diane de Pompignan, corporate real estate senior manager de Danone. » Nous nous fixons des objectifs réalisables basés sur des datas qui doivent être fiables, ensuite nous les déclinons dans chaque pays au cas par cas avec le souci du développement durable ” témoigne Diane de Pompignan.
‐ 62% d’émissions carbone prévues par la France entre 2030 et 2019 pour le tertiaire.
30 milliards par an jusqu’en 2030 à mobiliser pour la rénovation énergétique des bâtiments.
6 milliards y ont été dédiés en 2024.
Source : Rapport d’évaluation de l’adéquation et l’efficacité des outils au service de la rénovation énergétique des bâtiments du secteur tertiaire marchand ‐ Juin 2024
Nous réfléchissons à mettre en place un partage de la création des économies d’énergie via un bail vert. Si l’utilisateur participe aux travaux de réhabilitation et de mises aux normes qui permettent de créer une économie d’énergie et une valorisation notamment au regard de la réglementation, il y aura potentiellement une meilleure valorisation de l’immeuble. Il faudra dans ce cas trouver un mécanisme pour que cette économie soit partagée entre l’utilisateur et l’investisseur.
Rappel du cadre réglementaire
La première tentative de prendre en compte les problématiques environnementales dans l’immobilier tertiaire a eu lieu avec la loi n° 2010‐788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Loi Grenelle II », avec la mise en place d’une annexe environnementale .
Le Dispositif Eco Ecacité Tertiaire (DEET) dit « Décret tertiaire » est le Décret n° 2019‐771 du 23 juillet 2019
La Directive du 24 avril 2024 sur la performance énergétique des bâtiments.
Ce contexte économique contraint pousse à chercher l’innovation tant au regard du partage des coûts entre utilisateur et propriétaire lors de la négociation du bail qu’à imaginer des modes de financement. « Par exemple, nous étudions la possibilité de mettre en place des contrats de service pour partager le coût de l’installation de panneaux photovoltaïques dont nous équipons nos actifs avec nos bailleurs, voire avec des investisseurs tiers. Nous étudions également la question de la fiducie ou de SPV dans certains pays” illustre Diane de Pompignan.
Financements bancaires : attention à la grille de scoring pour septembre 2025 !
Dans le cadre d’intégration de l’enga‐gement européen de réduction des émissions de carbone à l’horizon 2030‐2050, de la règlementation Bâloise qui concerne les banques et du programme NZBA, l’institut du financement des professionnels de l’immobilier (IFPImm) a mis en place un questionnaire homogène pour récolter les informations extra financières relatives au descriptif de l’actif, sa performance énergétique, sa performance sociale ou encore son exposition aux événements climatiques.
“Pour l’instant, ces informations ne constituent pas une grille de scoring, mais c’est très prochainement envisageable. La BCE encourage les établissements à adopter une grille qui mesure aussi le risque dans un avenir proche, précise Alexandre Gruppo, membre de l’institut du financement des professionnels de l’immobilier (IFPImm). Ce scoring aura sans doute un impact renforcé sur notre politique d’octroi de financement et l’allocation de fonds propres face aux risques. Nous serons sans doute plus restrictifs dans certains secteurs car le risque sera mesuré. Il y aura une dis‐crimination des projets et une politique de prix différentes. Nous pouvons imaginer la mise en place d’un bonus/malus en fonction de la qualité écologique des projets”, détaille‐t‐il.
» La BCE encourage les établissements à adopter une grille qui mesure le risque. Nous serons sans doute plus restrictifs dans certains secteurs. «
Accepter que certains actifs ne pourront pas être ni financés ni rénovés
Si les banques accompagnent les projets de transition écologique, l’efficacité économique du bâtiment est au cœur des dossiers. “La valorisation de l’actif doit être un critère de choix. Il faut se l’avouer. Une bonne partie des actifs aujourd’hui a une valeur quasi nulle. Nous ne pourrons pas les rénover car la valeur ne s’ajustera pas”, prévient Alexandre Gruppo. Au‐delà de la question pratique du financement d’un plan de travaux, l’enjeu est celui de la valeur de l’actif. Les participants sont unanimes “une bonne partie des actifs aujourd’hui a une valeur quasi nulle, la valeur d’expertise de l’actif doit être revue”.
“Les différents scenarii démontrent que la démolition n’est pas un gros mot, car certains actifs, malgré les sommes engagées, ne seront jamais verts. Il faut l’accepter” ajoute Pauline Koch. Et “s’ils ne peuvent pas être valorisés en tant qu’actif, ils pourraient l’être en les rendant à la nature avec un transfert de constructibilité par exemple » conclut Oubay Churbaji.
Pour convaincre un banquier, il faut transposer la donnée technique en risque financier sur la dépréciation de la valeur du bien. Par ailleurs, il est utile de s’interroger sur la finalité de l’opération et du coût des travaux. Il est tout à fait possible de réduire les investissements nécessaires, jusqu’à 30 fois moins élevés dans le cas concret présenté lors du petit‐déjeuner de l’ADI, pour une performance énergétique équivalente. La clé ? Il faut penser Opex, CapEx et sobriété ensemble.