Le dérèglement climatique a des conséquences multiples : canicules, stress hydriques, phénomènes météorologiques extrêmes… La trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC), retenue par le gouvernement pour élaborer le 3e plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), est une hausse des températures de 4 degrés. Mais alors, comment adapter l’immobilier des entreprises à ce réchauffement ? Quels investissements déployer et comment les financer ?
Les exemples des impacts du dérèglement climatique sur l’activité économique des entreprises sont déjà très nombreux. “Citons, cette usine suisse de production d’un alliage très spécifique, mise à l’arrêt en raison des inondations en juillet dernier. Faute de cet alliage, Porsche a dû stopper sa chaîne et évalue une perte entre 1 et 2 milliards d’euros pour l’année”, détaille Jean‐Louis Bertrand, à l’occasion du dernier petit‐déjeuner de l’ADI qui s’est tenu en novembre.
Le dérèglement climatique induit la multiplication de ces phénomènes climatiques extrêmes. “Il faut impérativement que les entreprises anticipent et réfléchissent à l’adaptation et la résilience de leur activité sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, car l’adaptation n’est pas une option”, admettent conjointement les participants à la table ronde.
Troisième plan national d’adaptation au changement climatique
Fin octobre, Michel Barnier et Agnès Pannier‐Runacher, alors respectivement Premier ministre et ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, ont présenté le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3). “Ce document très pratique, en consultation jusqu’au 27 décembre 2024, est organisé autour de 5 axes, dont trois concernent plus directement l’immobilier. Chaque axe est décliné en mesures très concrètes ”.
“L’idée est de prendre en compte la dynamique du changement climatique. C’est assez nouveau, puisque jusqu’à présent les documents de planification, notamment dans le cas des risques d’inondations, avaient tendance à regarder en arrière pour évaluer les risques, sans prendre en compte l’évolution de la dynamique climatique et de l’action de l’homme sur l’environnement immédiat”, ajoute Jean‐Louis Bertrand.
Au‐delà de la démarche, Charlotte Girerd, directrice Transition, RSE et Innovation de SNCF Immobilier rappelle que “le scénario de +4 degrés en 2100 n’est envisageable que si la stratégie nationale bas carbone (SNBC) est atteinte. Il est donc impératif de réussir la décarbonation de notre immobilier, et cela parallèlement à la question de l’adaptation de nos activités aux changements climatiques.”
Il nous faut tout faire pour échapper à la tragédie des horizons.

Jérôme Arnaud, directeur immobilier du Groupe Alstom ; Charlotte Girerd, directrice de la Transition, RSE et Innovation de SNCF Immobilier ; Marjolaine Grisard, directrice RSE de Nexity et Jean‐Louis Bertrand, enseignant‐chercheur à l’ESSCA sont intervenus lors du petit‐déjeuner débat organisé le 20 novembre dernier.
Risques, objectifs et vulnérabilité
La question de l’adaptation de l’activité aux changements climatiques peut être angoissante, tant elle est tentaculaire, et même parfois impalpable. Cette adaptation implique d’interroger les process, au regard de la vulnérabilité.
“Alors que le risque est établi selon des grilles et des barèmes, la vulnérabilité nécessite d’interroger l’avenir“, détaille Jérôme Arnaud, directeur immobilier d’Alstom. Il faut trouver des solutions à des questions. Par exemple : la qualité d’une soudure ou d’une peinture évolue‐t‐elle par 40 degrés ou avec un taux d’humidité important ?”
Ces questions doivent être appréhendées de façon pragmatique et progressive. “Nous devons nous projeter pour imaginer les conséquences de tel ou tel phénomène sur l’actif, les environnements et le process industriel”, précise Jérôme Arnaud.
“Cette étude peut se faire sur la base des règles posées par la taxonomie en mettant en regard des familles de solutions, conseille Charlotte Girerd. Après la réalisation d’une étude de vulnérabilité réalisée sur nos 8 000 sites et 25 000 bâtiments sur 4 scénarios de temps et 15 aléas, l’enjeu consiste à “stratégiser” nos analyses. Or le déploiement de cette stratégie sera nécessairement du sur mesure car la solution apportée doit tenir compte des spécificités du territoire.”
Études de résilience
Du côté de l’acte de construire, les promoteurs s’adaptent. “Nous avons financé le développement de l’outil Bat‐ADAPT de l’Observatoire de l’immobilier durable, accessible et utile à tous les acteurs de l’immobilier, qui permet de réaliser facilement des études de résilience, indique Marjolaine Grisard, directrice RSE de Nexity.
À partir de la localisation de la parcelle, un premier diagnostic d’exposition aux aléas climatiques est réalisé. Il s’affine ensuite en diagnostic de vulnérabilité, une fois que les caractéristiques du bâtiment sont rentrées. Désormais, son utilisation est systématisée chez Nexity pour identifier les actions d’adaptation en phase de conception. Il permet également un pilotage de l’adaptation à l’échelle d’un parc de bâtiments existants.”
L’arlésienne : le financement

Pour l’heure, aucun financement ou aide étatique n’est prévue dans le PNACC. L’enveloppe pourrait être égale à celle mobilisée pour la décarbonation. “Il faut s’adapter aux changements climatiques en cours et à leur évolution future. Cette adaptation a un coût qu’il faut considérer comme un investissement pour conserver l’usage et la valeur des biens. Le coût de l’inaction, qu’un diagnostic de vulnérabilité permet de chiffrer, est une bonne base pour évaluer le retour sur investissement”, prévient Jean‐Louis Bertrand.
“Il faut adapter nos actifs sans se reposer sur les assurances”, ajoute Jérôme Arnaud. En conclusion, Charlotte Girerd résume : “Il nous faut tout faire pour échapper à la tragédie des horizons : agir aujourd’hui, c’est rendre le futur meilleur”.
Questions à …
Jean‐Louis Bertrand,
CEO de Tardigrade AI et Enseignant‐chercheur à l’ESSCA
Avec votre entreprise Tardigrade AI, vous accompagnez les entreprises dans l’adaptation de leur patrimoine. Quel scénario climatique utilisez‐vous pour modéliser vos projections, et pourquoi ?
Pour les entreprises, nous privilégions le scénario SSP 5‐8.5, dit “du pire”, qui envisage une poursuite des pratiques actuelles sans atteinte de la neutralité carbone dans le délai des Accords de Paris. Ce scénario permet de dimensionner les actions d’adaptation et les plans de continuité de manière pertinente. Nous évaluons les risques actuels et projetés, année par année, à la coordonnée GPS et autour des bâtiments, où qu’ils soient dans le monde, en nous appuyant sur un ensemble de modèles climatiques de référence utilisés par le GIEC. Pour les collectivités territoriales et les projets impliquant l’État ou les régions, nous ajoutons le scénario TRACC, qui prévoit une hausse de +4°C en France d’ici 2100. Ce scénario, issu du PNACC, sert de référence pour l’adaptation des bâtiments et infrastructures publics.
Pensez‐vous que nous sommes préparés aux changements climatiques à venir ?
Il est fréquent qu’un diagnostic d’exposition aux risques climatiques provoque une forme de sidération face à l’évolution rapide du climat et de ses conséquences sur l’immobilier de nos clients. En France, nous observons aujourd’hui des anomalies de 20 à 50% par rapport aux normales climatiques, et ces anomalies pourraient doubler, voire tripler, d’ici 2050. Les besoins en énergie pour maintenir des bâtiments à température constante, par exemple, ont augmenté ces dix dernières années en moyenne en France de l’ordre de 50 %. Ce besoin pourrait au moins doubler d’ici 2050, avec des disparités marquées selon les régions, atteignant un facteur de cinq dans certaines zones urbaines.
Quels sont les défis spécifiques à l’horizon 2030 ?
D’ici 2030, nous devons nous préparer à des anomalies climatiques encore plus marquées. Par exemple, les écoles, crèches, hôpitaux, bureaux ou entrepôts devront être adaptés pour résister aux nouvelles conditions climatiques. En France, les inondations par ruissellement et les vagues de chaleur sont des préoccupations majeures. Les plans locaux d’urbanisme (PLU), souvent basés sur des données obsolètes basées sur les modèles historiques, doivent être révisés pour prendre en compte les précipitations extrêmes et les nouvelles réalités climatiques. Le diagnostic de Tardigrade s’appuie sur un jumeau numérique de terrain sur lequel on projette les évolutions des régimes de pluies, qui permet d’estimer des hauteurs d’eau dans et autour des locaux, beaucoup plus pertinent pour choisir des stratégies d’adaptation. L’anticipation passe par une compréhension précise des risques auxquels chaque bien est exposé. La priorité est donc de réaliser des diagnostics qui permettent de calibrer les actions d’adaptation, un service au coeur de la mission de Tardigrade AI.