17 mars 2015

La pureté d’usage vs la pureté du style

Métier/Fonction immobilière

Quelle est la place du patrimoine dans les projets immobiliers des entreprises ? A dire d’experts, la réponse n’est pas si simple et convoque met en jeu plusieurs concepts. A l’heure où la ville de Paris lance un concours d’innovation sur les projets immobiliers et urbains pour « Réinventer Paris », l’initiative  – dans cette ville sur laquelle on a trop souvent fait le pronostic qu’elle deviendrait une ville musée – vient bouleverser nos certitudes et influer nos arbitrages en la matière… Mais la partie n’est pas encore gagner gagnée ! Les enjeux à considérer sont d’importance pour inscrire le patrimoine dans les usages d’une vie moderne dont le pouls bat au rythme de l’instantanéité et de l’immatériel. Explication.

 

La question de la place du patrimoine s’inscrit dans le contexte d’un monde sociologiquement en mutation où la pression démographique des métropoles conduit à avoir une lecture innovante de la construction. L’enjeu de la reconstruction de la ville sur elle-même, ainsi posée, fait apparaître l’impérieuse nécessité de travailler sur la réversibilité des immeubles pour aujourd’hui et pour demain. Mais penser réversibilité induit de concevoir des projets de reconversion, transformation ou réhabilitation dans le respect de l’ensemble des valeurs du bâti préexistant.

Marqués par notre culture, nous avons trop souvent tendance à penser le patrimoine dans sa dimension historique et mémorielle. Or, le patrimoine n’est pas unidimensionnel et n’est pas uniquement architectural. En effet, un lieu – au-delà de sa valeur esthétique – porte en lui une histoire sociale, syndicale, culturelle, industrielle et politique. Dans les projets de transformation, le traitement de cette histoire multifacette est une question prégnante à laquelle les entreprises ne peuvent se soustraire. Les entreprises ont, à ce titre, la capacité de remettre en cause leurs schémas d’origine pour prendre en compte la totalité des points de vue des parties prenantes et instruire, en itération, leur projet. Les exemples de reconversion dans lesquelles les entreprises font le choix de rester sur site l’illustrent parfaitement. Dans ce cas, comme dans d’autres, préserver la valeur patrimoniale du « déjà-là » entre ainsi dans le champ de compétence – et de responsabilité -de l’entreprise. C’est d’ailleurs tout ce que s’emploie à démontrer l’ADI dans la réflexion qu’elle mène, depuis maintenant plusieurs mois, sur la reconversion des friches industrielles et urbaines.

Mais une fois que cela est dit, une question reste en suspens. Si préserver le patrimoine est une noble idée à laquelle chacun peut souscrire, comment les entreprises doivent appréhender, de façon opérationnelle, la question pour assurer l’équilibre économique du projet ?

Pour cela, il faut, me semble-t-il, accepter deux principes de réalité. Le premier tient au rythme de l’évolution industrielle et économique. La transition, que nous vivons, fait que, aujourd’hui, la question de la transformation des usages est fondamentale. Il est loin le temps où, l’on concevait des bâtiments pour 30 ou 50 ans. Aujourd’hui, l’évolution des process et la mutation économique de nos entreprises font que la pertinence des bâtiments, livrés il y a seulement 10 ans, est souvent remise en cause. Le second consiste à admettre que les transformations des bâtiments ne sont pas liées aux seules évolutions de l’activité de l’entreprise mais bien à la transformation de la ville et de son usage pour les citadins.

Dans un tel contexte, il serait vain d’adopter une posture rigide et doctrinaire sur la conservation du patrimoine. Le problème de l’entreprise n’est pas de s’adapter mais d’être adaptable pour survivre. Quant au patrimoine, ce n’est pas une contrainte, mais une donnée qui se gère à la condition de la concevoir comme vivante et non comme figée dans une époque. Pour cela, le patrimoine doit avoir une fonction, un sens et un usage. Paradoxal ? Oui. Le patrimoine, pour être préservé, doit évoluer dans son usage… et en ce point, il a une caractéristique commune avec l’entreprise !

Fort de ces constats, si l’on considère que la capacité d’usage sur le long terme détermine la valeur réelle d’un bien, alors la question du coût de la préservation du patrimoine entre en résonance avec celle du coût de la vacance liée à l’inadaptation des locaux. De là, ne peut naitre qu’un processus de reconstruction créatrice qui doit faire appel à des modèles programmatiques renouvelés qui concilient : coût du foncier, attentes des politiques, usages de la ville et impératifs de production.

Il convient aussi de rappeler que les entreprises, avec leur direction immobilière, sont souvent maîtres d’ouvrage. Elles ont donc une grande responsabilité et doivent avoir la conscience des enjeux patrimoniaux lorsqu’elles engagent un projet. Sur ce type de projets, je suis frappé tout à la fois de la conscience ancrée de la complexité des questions soulevées et du fossé qui sépare les acteurs, chacun débattant au sein de sa profession. Par exemple, il est absolument nécessaire de mieux partager entre architectes et maîtres d’ouvrage la compréhension réciproque des enjeux.

Ce dialogue préalable à l’élaboration de tout projet, le souci d’acquérir très tôt la compréhension des enjeux patrimoniaux, l’élaboration de scénarios qui confrontent le projet à son économie sont autant de questions qui doivent être impérativement traitées très en amont de l’élaboration d’un programme et d’un projet architectural de transformation.

Toutefois, si les consciences de l’ensemble des parties prenantes ont atteint un plus grand niveau de maturité sur le sujet, il n’en reste pas moins des blocages à soulever. Le patrimoine requiert une réglementation  adaptée visant à le préserver, mais aussi une formation de l’ensemble des acteurs de la chaîne immobilière.. Et aujourd’hui force est de constater, que ces deux points restent encore à améliorer.

Pour conclure, je voudrais m’arrêter sur cette idée personnelle d’ouverture que m’inspire le sujet de la conservation du patrimoine. Au regard des enjeux patrimoniaux, l’entreprise est de passage, et doit, à ce titre, adopter une attitude d’humilité. Nous sommes, vous comme moi, des passeurs dans nos métiers…Alors; dans l’activité qui est la nôtre, sachons donc faire de ces contraintes des opportunités de création de bâtiments et de lieux riches d’un supplément d’âme et d’une plus grande valeur que nous serons fiers de léguer aux générations futures. sachons écouter nos prédécesseurs et sachons nous préoccuper de nos successeurs.

Partagez !

Partagez cet article.